Jean Anouilh, auteur injustement écarté de nos scènes depuis un certain temps, revient en force grâce à Émeline Bayart qui met en scène le petit monde des personnages de cette Culotte. Écrite en 1978, elle fait partie des pièces farceuses avec lesquelles Jean-Pierre Marielle, l’interprète principal, se tailla à l’époque un succès mémorable. L’intrigue, au demeurant cocasse, sonne plus que jamais d’actualité : Anouilh imaginait une dictature matriarcale orchestrée par une épouse trompée bien déterminée à se venger de manière plus que violente de son infidèle époux.
Nous découvrons, dès le lever de rideau, Léon de Saint-Pé, membre de l’Académie Française et chroniqueur au Figaro, attaché à un poteau. Son crime est d’avoir engrossé la bonne qui, bien que consentante, le réduit à demeurer coupable en attendant le jugement qui doit être rendu par le Comité des femmes libérées du XVIe arrondissement.La révolution féministe est en marche, les femmes ont tous les droits et les hommes celui de se taire.
La pièce dénonce ainsi un féminisme devenu incontrôlable avec une guerre des sexes ouvertement déclarée. Nous sommes en plein me too bien avant l’heure ! Autour de ce pauvre homme condamné d’avance, évoluent de singuliers personnages parmi lesquels son fils Toto, la grand-mère, une nouvelle bonne (qui lui apportera peut-être le salut), son avocat (tout récemment émasculé), une Présidente de cour et son assesseure aux allures féliniennes et, bien sûr, Ada, l’épouse bafouée.
Le spectacle est savamment ponctué de chansons appartenant à des répertoires variés, accompagnées par la pianiste, par ailleurs l’assesseure. Citons au passage des airs d’Yvette Guilbert, Henri Tachan, Juliette ou encore Julos Beaucarne, sans oublier Ralph Benatzky (« Pour être un jour aimé de toi ») et Neuburger (« Parlez-moi d’amour »). Ils arrivent fort à propos et donnent encore plus de singularité à la pièce.
La distribution proposée est sans failles. Bien entendu Ada, c’est Émeline Bayart, irrésistible de drôlerie comme elle nous l’a prouvé dans toutes ses interprétations récentes, aimant nous surprendre, toujours parfaitement à l’aise autant chez Feydeau, Guitry, Tchekhov ou Hahn (Ô mon bel inconnu). Valeur sûre, désormais incontour- nable du monde théâtral et musical, elle nous séduit une fois de plus.
Le reste de la distribution est également à louer : Marc Chouppart incarne le mari malheureux, Christophe Canard, un avocat de la défense provoquant l’hilarité pendant son plaidoyer, mais aussi Thomas Da Costa, Marc-Henri Lamande, Corinne Martin, Laurent Ménoret et Herrade Von Meier.
La Culotte, œuvre résolument “visionnaire et culottée” comme aime à le préciser Émeline Bayart, ouvre brillamment la saison du Théâtre de l’Athénée qui promet de forts bons moments théâtraux et musicaux.
Philippe Pocidalo
3 octobre 2023