La Fille de Madame Angot, composée par Charles Lecocq, sur un livret Clairville, Siraudin et Koning, est vaguement inspiré de la réalité historique, et pas si mièvre qu’on l’a parfois prétendu, avec ses moments de tendresse et d’émotion, peu de passages comiques, un texte souvent savoureux, et une partition raffinée. Quelques personnages du Directoire s’y côtoient : le chansonnier Ange Pitou, contes-tataire royaliste, Mademoiselle Lange, maîtresse de Barras – entre autres – et conspiratrice. L’affiche de cette production, ornée de silhouettes féminines de « Merveilleuses » – certes le poing levé – aurait pu préparer les spectateurs à se plonger dans une époque un peu agitée, mais aux charmes surannés.
Que nenni… le rideau s’ouvre sur le décor métallique d’une usine produisant des 4L, peuplée d’ouvriers en salopettes ! Et quand Clairette, « la fille Angot », apparaît, c’est une étudiante binoclarde qui, dans sa chambrette étrangement installée au beau milieu de l’usine, se prépare à un mariage qui ne lui convient pas.
Ce n’est que le début des incongruités dont nous gratifiera, tout au long du spectacle, Richard Brunel, le metteur en scène, qui a cru bon de transposer cet ouvrage en plein mai 68, avec son cortège de panneaux contestataires, de grèves et autres manifs. Certes, il y a bien eu une « lutte des classes » entre les marchands des halles et les tenants du Directoire, mais les évènements qui se déroulent dans ce microcosme n’ont rien de commun avec le mouvement social de 1968, que d’ailleurs nombre de spectateurs et même le metteur en scène, n’ont pas vécu. Je vois là une idéologisation de pacotille qui ne fait qu’enlaidir ce délicieux ouvrage. Pourquoi ne pas faire preuve d’imagination pour créer un spectacle musical sur cette époque ? Certes, le livret et la partition ont été – presque – respectés, et c’est tant mieux, sauf que cela contribue évidem-ment à l’incohérence de l’ensemble.
Et je n’ai encore rien dit du deuxième acte ! Mademoiselle Lange ne reçoit pas dans son élégant salon, comme l’avaient prévu les auteurs, mais dans la salle du cinéma « Odéon », salle en gradins, qui accueille de nouvelles incongruités, à commencer par le conspirateur Trénitz, devenu une sorte de touriste de luxe, roulant ostensi-blement les R, par une absurde et puérile volonté de mise en scène, juste pour être contraire au signe de reconnaissance des Incroyables.
La mal-inspiration de Richard Brunel nous offre aussi un grand moment de ridicule : Le duo des retrouvailles entre Clairette et Lange se veut parodier les Demoiselles de Rochefort, costumes et gestuelle compris, mais, interprété sans talent ni conviction, il manque complètement sa cible.
Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il y a d’impardonnables erreurs de distribution, que ce soit Clairette, supposée à peine sortie du couvent, dont le rôle est tenu par Hélène Guilmette qui approche d’une cinquantaine potelée, ou Mademoiselle Lange, certes de fière allure, mais de toute évidence Véronique Gens est plus à l’aise dans des rôles « sérieux » du répertoire.
Et que dire de la célèbre valse « Tournez… », dont les interprètes demeurent assis sur les marches, histoire de ne pas choir, tandis que les hussards d’Augereau se présentent en CRS, bottés et casqués. Et parmi tout ça, on retrouve différents tableaux complètement décalés, par exemple, le duel des forts des Halles – mais que font-il là ?
J’ai fini par ne plus vraiment regarder la scène, me contentant d’écouter. Et là encore, patatras : les deux principales interprètes féminines bredouillent allégrement aussi bien leur texte parlé que chanté, on ne comprend pratiquement rien… et, dans ce contexte, ce n’est peut-être pas plus mal ! Côté gent féminine, un bon point pour Floriane Derthe qui interprète avec éclat, vocalement comme scéniquement, l’air célèbre « marchande de marée ». Le ténor Pierre Derhet est sans doute le meilleur élément de la distribution, il campe habilement le perruquier Pomponnet, son jeu est élégant, sa voix est très agréable et il articule tout à fait correctement. Julien Behr porte beau en Ange Pitou, c’est un bon comédien dans un rôle un peu ingrat, mais la voix est parfois en arrière et sans couleur. Matthieu Lécroart a un talent certain, qui donne une dimension intéressante au personnage de Larivaudière et le préserve du ridicule. Geoffrey Carey est un Trenitz parfaitement inconsistant.
Terminons sur une note positive: la direction vive et enjouée de Hervé Niquet, à la tête de l’Orchestre de Chambre de Paris, respecte la subtilité de la partition et est vivement applaudie ; le Chœur du Concert Spirituel fait preuve d’une incontestable qualité vocale.
Hélène Guilmette et Véronique Gens (photo Jean-Louis Fernandez)
Christiane Izel
1er octobre 2023