Le Chanteur de Mexico, Mérignac (Le Pin galant)
dimanche 9 novembre 2025

Le Chanteur de Mexico, Mérignac (Le Pin galant)

Jérémie Duffau  (photo TLA)

Sans éclipser La Belle de Cadix (1945), Andalousie (1947) ou plusieurs autres titres, Le Chanteur de Mexico (1951) est une des opérettes les plus reconnues de Francis Lopez (1916-1995). Le livret est de Félix Gandéra et de Raymond Vincy, les lyrics de Raymond Vincy et de Henri Wernert.
Ce Chanteur de Mexico réunissait tous les ingrédients pour se maintenir plus de 900 représentations dans le mythique théâtre du Châtelet. D’abord le grand spectacle, comme le théâtre n’en produira pas d’équivalent dans sa période d’après guerre. Dans les années 1930-40 le Châtelet était déjà la salle du grand spectacle ; on peut citer Yana de Christiné et Richepin en 1934 qui déploie des décors pharamineux.
Lopez tient avec Luis Mariano une vedette au sommet de sa popularité et de son art, même si la succession assurée par Rudy Hirigoyen n’inférera pas la fréquentation. La partition est variée, riche en chansons que le public retient et surtout de son tube absolu « Mexico » toujours bien dans les oreilles de nos jours. Le livret ne séduisait pas moins. Il faisait voyager, du pays basque au Mexique en passant par la capitale elle aussi bien sollicitée à égalité avec l’étranger au premier acte. Le dépaysement sert de cadre à des aventures connotées de flirts, de suspense et d’un fond politique.

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ensemble (photo TLA)

Alors qu’Elia Kazan tourne Viva Zapata ! en 1951 (sortie en février 1952), Louis Oster et Jean Vermeil s’interrogent sur le choix des auteurs du Chanteur de Mexico de « prendre le parti du président fantoche Madeiro, apprécié des politiciens états-uniens » et de faire de l’espion Miguelito « ce patriote épris de liberté et défenseur des opprimés » 1. Pour autant, dans l’opérette, l’air « Guarrimba » de Zapata valorise plutôt avec une certaine emphase le combat de l’Indien révolté. Le débat en réalité est porté sur le terrain du cinéma, Hollywood ayant à l’époque une longueur d’avance sur la France.
Ajoutons des rôles en or pour chacun, l’intrigue ayant pour originalité de faire progresser les amours d’un ténor et d’une fantaisiste. L’ouvrage s’est maintenu au répertoire sans jamais retrouver le faste de sa création, les moyens pourtant substantiels alloués au Châtelet en 2006 (mise en scène d’Emilio Sagi et l’Orchestre Philharmonique de Radio France dans la fosse !) ayant visé à faire de l’ouvrage un peu autre chose, estimable certes, mais un peu parallèle à l’œuvre d’origine.

L’intrigue

Vincent Etchebar et Bilou quittent le pays basque pour Paris. Vincent a rompu avec Éva, une vedette qui part avec son partenaire Miguelito pour une tournée au Mexique. Écumant divers emplois à Montmartre, les deux amis font la connaissance de Cricri, dont Bilou tombe amoureux, mais qui s’éprend de Vincent. Ce dernier gagne un radio-crochet et il est contacté par Miguelito qui entend se faire remplacer, au Mexique, dans l’opérette où se produit Éva. C’est pour échapper à un enlèvement par l’armée du révolutionnaire Zapata que le chanteur renonce à son voyage, lui-même se situant du côté des prétendus loyalistes. Cricri et Bilou, d’abord éconduits, parviennent à embarquer avec leur ami.

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Jérémie Duffau, Julie Morgane et Vincent Alary (photo TLA)

Au Mexique, après une période de succès artistiques et une soirée festive à Acapulco, les difficultés commencent. Vincent, méconnaissant le rôle de leurre qu’on veut lui faire jouer, se retrouve pris dans la guerre que livre le chef révolutionnaire, entouré de ses femmes-soldats dirigées par Tornada, contre le pouvoir en place de Madeiro. Lors du retour à Mexico, Bilou et Cricri tombent en panne dans le désert ; Bilou comprend que c’est de Vincent que son amie est amoureuse. C’est dans une posada que tous sont arrêtés, suite à une tequila contenant un dormitif. Vincent et Bilou sont capturés par Tornada, le dernier « pour son usage personnel ». Les autres sont emmenés dans le camp indien. Tandis que Bilou, confronté au Grand Sorcier, suit finalement Tornada, Vincent est condamné à mort. Cricri qui l’a suivi ne peut rien faire pour le sortir des griffes du chef révolutionnaire.

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Aslam Safla et Jérémie Duffau (photo TLA)

Au pied du temple aztèque l’aventure tourne mal pour Vincent soumis à la torture, jusqu’à ce qu’interviennent pour le délivrer les troupes officielles prévenues par Éva. Miguelito, à l’origine de la malencontreuse substitution, s’excuse. Vincent réalise enfin son amour pour Cricri ; Bilou convolera avec Tornada, la colonelle repentie des femmes-soldats acquises à Zapata ; Miguelito rejoindra Éva.

La mise en scène de Christian Blain au Pin Galant

Le metteur en scène Christian Blain décline avec talent tous les aspects dramaturgiques et musicaux de l’opérette à grand spectacle telle que la concevait le Châtelet. Il sait aussi en renouveler les codes pour aller vers le public d’aujourd’hui.
Il part d’un réalisme assumé en reprenant les lieux communs du décor (quartier de Montmartre, Tour Eiffel, Moulin de la Galette…) ; la plage d’Acapulco, le désert mexicain, la posada ou le temple aztèque n’ont rien à leur envier. En élaguant un livret qui correspondait au temps pris par la narration en 1951, il donne plus d’impact et de densité musicale aux numéros attendus, « Quand on voit Paris d’en haut », « Il était une fois une fille d’un roi » ou « Je me souviendrai d’Acapulco ».
L’histoire sentimentale est traitée par touches, sans éclat. Alors que la relation de Bilou avec Cricri se transmue en amitié, celle de Vincent avec la « poulbote » marque des points. On sait que le couple ne se réalise qu’à la toute fin de l’ouvrage et, qui plus est, au niveau des emplois, entre le ténor, presque étranger à tout affect durant toute l’action, le flirt avec sa partenaire n’ayant guère de concrétisation, et la fantaisiste, plus à l’écoute de son cœur et de ses émois.

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le ballet (photo TLA)

Christian Blain écrit avec le Chanteur de Mexico une véritable comédie musicale. Il utilise le ballet dans toutes ses dimensions, comme pièce autonome (le « ballet du Moulin de la Galette », le « ballet typique », le « ballet indien »), mais aussi en « entourages » (« Ay ! Ay ! Goûtons à la liqueur du vieux Mexique », « Guarrimba »), mais sans systématisme. Il sait faire décoller la pièce, y compris dans les scènes parlées. La rencontre de Bilou avec Bidache, la chambre de Cricri ou la scène surréaliste avec le Grand Sorcier où on atteint le théâtre pur sont des réussites. Mais les moments où intervient la musique sont tout aussi soignés. La fin du premier acte est traitée comme un « finale primo » d’opéra avec ses reprises, son entrain, dégageant un plaisir vocal et scénique qui n’a pas laissé le public indifférent. La troupe des femmes-soldats de Tornada s’en donne à cœur joie et réalise la même théâtralisation du chant et du mouvement…

En cela, le spectacle est un véritable éblouissement pour les yeux et un régal pour les oreilles.

Une distribution idéale

On retrouve en tête de distribution Jérémy Duffau sans doute le meilleur interprète actuel pour reprendre le rôle de Vincent encore imprégné de la mémoire de Mariano. La voix suave et modulée dans les tubes romantiques (« Maïtechu », « Rossignol, rossignol de mes amours »…) sait se faire mordante dans un numéro comme celui de la posada où la puissance est comparable à celle déployée dans un opéra ou encore éclatante, l’aigu le plus insolent dans « On a chanté les parisiennes » ne manquant pas son effet.

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Perrine Madoeuf (photo TLA)

À ses côtés Perrine Madœuf aborde elle aussi le rôle d’Éva avec une tessiture d’opéra ; le rôle vocal est malheureusement court, limité à la valse « Capricieuses », mais elle sait en relancer la puissance dans les finals enrichis d’aigus enlevés et de notes piquées ; la comédienne est rayonnante.

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Julie Morgane et Vincent Alary (photo TLA)

Le texte du couple Cricri / Bilou est joué comme de l’excellent théâtre. Vincent Alary a le mérite, presque en stand-up, de faire passer avec naturel des éléments de langage d’aujourd’hui à mille lieux des traditions d’autrefois (l’allusion à « Shein » fait un tabac !). Julie Morgane sait faire vivre son personnage, le seul qui évolue dans l’opérette, avec crédibilité et sensibilité. Le chant n’est pas oublié, les deux interprètes ont la voix qui dépasse ce qu’on demande dans ce domaine aux rôles bouffes. L’air « ça m’fait quelque chose » est détaillé avec finesse par Julie Morgane ; le Bilou de Vincent Alary met la verve qu’il faut dans ses interventions.

Claude Deschamps dans Cartoni surplombe la distribution de par son rôle d’imprésario, mais aussi par l’empathie et le charisme qu’il dégage ; son air « Cartoni » est chanté avec nuance et esprit.

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Perrine Cabassud (photo TLA)


Tornada revient à Perrine Cabassud, un profil d’opéra elle aussi, mais également une interprète pleine de fougue dans le sillage de ses femmes-soldats. Quelle comédienne aussi quand on pense à la scène loufoque qu’elle partage avec Bilou et le Grand Sorcier. Ce dernier, joué par Henri Pauliat, est d’une invention de jeu inouïe, le ténor qu’on connaît se révélant aussi un comédien époustouflant.
Zapata est interprété par Aslam Safla avec une voix large, bien conduite, au phrasé intense, aux accents puissants que le chanteur sait faire irradier.
Enfin n’oublions pas ni le Bidache plus vrai que nature de Jean-Pierre Duclos, ni le Miguelito bien typé de Pierre Catalo.

L’orchestre Mélodia dirigé par Claude Cuguillère est toujours au rendez-vous dans un Lopez que le chef connaît sur le bout des ongles. Le chœur préparé par Annabelle Rougemont est parfaitement en place et concerné. Lorenzo Bernardi signe à la tête du ballet de l’Académie Carole Massoutie une chorégraphie élégante qui a remporté tous les suffrages.

Pris sous le charme d’une telle représentation le public a du mal à retourner à la réalité tant il a manifestement fusionné avec le spectacle…

1 Guide raisonné et déraisonnable de l’opérette et de la comédie musicale, Fayard, 2008

Didier Roumilhac
9 novembre 2025

Le Chanteur de Mexico (Francis Lopez)

Direction musicale : Claude Cuguillère – Mise en scène : Christian Blain – Chef des chœurs : Annabelle Rougemont – Ballet de l’Académie Carole Massoutie, chorégraphie : Lorenzo Bernardi – Orchestre Mélodia – Chœurs Mélopée de Toulouse – TLA Productions.

Interprètes :
Julie Morgane (Cricri) – Perrine Madœuf (Éva Marshall) – Perrine Cabassud (Tornada)
Jérémie Duffau (Vincent) – Vincent Alary (Bilou) – Aslam Safla (Zapata) – Claude Deschamps (Cartoni) – Jean-Pierre Duclos (Bidache) – Henri Pauliat (Le Grand Sorcier) – Pierre Catalo (Miguelito).

Prochaine représentation le 2 décembre 2025 à la Maison de la Culture, Salle Jean Cocteau à Clermont-Ferrand.

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