Mateo, Théâtre du Fort Antoine de Monaco
vendredi 12 septembre 2025

Mateo, Théâtre du Fort Antoine de Monaco

© Philippe Fitte

opéra-tango de Martin Palmeri

Né à Buenos Aires en 1965, Martin Palmeri est considéré comme une figure majeure de la musique contemporaine argentine. Compositeur, pianiste, chef de chœur et chef d’orchestre, il a dirigé plusieurs ensembles prestigieux dans son pays. En tant que compositeur, il a enrichi le répertoire musical avec des œuvres marquantes comme Misa Tango, interprétée à travers le monde par des orchestres renommés, Moment phare de sa carrière, sa Misa tango a été interprétée en l’honneur du Pape François en 2013 à l’Église Saint-Ignace-de-Loyola de Rome et à la Cathédrale de Cologne. Ses compositions, mêlant tradition argentine et musique classique, témoignent d’une vision artistique unique, faisant de lui une figure incontournable de la scène musicale mondiale.

Mateo 5
© Philippe Fitte

L’argument

L’action de Mateo se déroule en pleine révolution industrielle argentine. À Buenos Aires Miquele, un homme prématurément vieilli, travaille très dur pour nourrir sa famille, vivant du peu d’argent recueilli comme modeste cocher avec son cheval. Mais comment peut-il lutter avec le développement soudain de l’automobile ? Carmen, son épouse, écoute ses enfants se plaindre de leur misère. L’un des fils, Chichillo, rêve de devenir boxeur et critique sa sœur Lucia, trop frivole, laquelle revendique sa liberté de femme tandis que leur frère Carlos juge sa famille et rêve d’accéder au monde du progrès incarné par l’automobile. Miquele, idéaliste, refuse catégoriquement les progrès technologiques et tient à ce que sa famille en fasse de même.
Severino, inquiétant fossoyeur au charisme sombre, incite Miquele à s’encanailler pour gagner de l’argent et rembourser ainsi ses dettes, par le biais d’un vol. Le vieux cocher, désespéré, finit néanmoins par céder. Cette décision scelle son destin. Après avoir participé à ce vol Mateo, le fidèle cheval, meurt tragiquement, heurté par une automobile et Miquele sombre dans une profonde tristesse.

Mateo 1
© Philippe Fitte

Les forces de l’ordre ont capturé l’un des voleurs complices et la présence de la voiture de Miquele l’a trahi. La police est sur sa trace. Carlos entre avec un costume élégant de chauffeur et annonce à ses parents la joie d’avoir trouvé un emploi. Il apporte l’argent que le pauvre Miquele, dans son obstination, n’a pas su gagner. Mais la police arrive et Miquele dit un pathétique adieu aux siens. Conscient de ses erreurs il se sacrifie pour protéger ses proches, leur laissant un ultime message d’amour.

La nature de l’œuvre : opposition du tragique et de l’humour noir dans le cadre d’une satire domestique.

Dans cette fresque émouvante où la lutte entre tradition et progrès met en lumière les sacrifices d’un père et les espoirs d’une nouvelle génération le rythme du tango et la vocalité de l’opéra vériste se mêlent pour la création d’un opéra dit « grotesco » où humour et tragédie alternent harmonieusement.

Mateo, d’après la pièce éponyme (1923) d’Armando Discépolo, a été créé à Buenos Aires (Teatro Roma, Avellaneda) en 1999, l’œuvre circulant ensuite en Amérique du Sud et en Europe. Martín Palmeri greffe ici sa grammaire « nuevo tango » à une vocalité teintée de vérisme. Une fresque émouvante où la lutte entre tradition et progrès met en lumière les sacrifices d’un père et les espoirs d’une nouvelle génération.

Mateo 2
© Philippe Fitte

L’œuvre au Fort Antoine de Monaco

Ce petit amphithéâtre dans le quartier Monaco-Ville est à l’origine une forteresse construite au début du XVIIIe siècle et détruite en 1944. Il a été réhabilité en théâtre de plein air sur le front de mer. Son charme, son histoire et la proximité de la scène avec le public en font un lieu privilégié.
Cet hémicycle minéral face à la mer, avec une acoustique sèche et directe, en fait un lieu idéal pour le théâtre et le chant. Il s’impose en outre comme un élément de la scénographie avec une végétation en fond de scène atout spectaculaire d’un décor fantasmatique pour des lumières extrêmement évocatrices de Brice Romero.

La direction musicale est assurée par le compositeur lui-même, Martín Palmeri. Cette circonstance confère à la soirée une dimension rare : l’œuvre est dirigée par celui qui en connaît chaque recoin, chaque respiration, chaque accent.

Mateo 4
© Philippe Fitte

La scénographie joue sur un minimalisme hautement signifiant. Le centre de gravité scénique est à l’avant-scène, cet énorme cheval – Matteo – gisant au sol, comme figé dans une flaque de sang. Cette image, qui accueille le spectateur dès son entrée, dit tout de la fatalité de l’histoire : la mort de l’animal annoncée, inexorable, hantera le spectacle jusqu’à son dénouement.
La mise en scène (dans laquelle s’inscrivent les costumes suggestifs d’Alexandra Mekhanic) bénéficie de la solide expérience de Carlos Branca, familier des passerelles opéra / tango / théâtre, Sa direction d’acteurs acérée est d’une justesse remarquable, proche du théâtre parlé, donnant aux interprètes une densité humaine rare. Les conflits entre les personnages, qu’il s’agisse de l’opposition entre générations ou de la tragédie qui se noue autour du cheval, sont rendus avec une violence contenue mais palpable.

La présence du compositeur à la baguette donne évidemment tout son sens à l’ouvrage et constitue un gage de crédibilité puissant et rare à une partition qui mêle l’énergie dramatique du tango à une veine lyrique exigeante et à une respiration idiomatique. Il est servi par l’admirable Quintette à cordes « Ad Libitum » comprenant en sus au piano Katherine Nikitine et aux bandonéons Carmela Delgado et Sébastien Innocenti.

Quant à la distribution vocale, elle mérite d’être saluée tant pour sa qualité homogène que pour son engagement scénique. Avant même de parler des voix, il faut souligner la présence de deux danseurs de tout premier plan : Giulia Pagnotta et Matteo Giudetti dont la technique et l’abandon sensuel donnent tout son poids dramatique à la danse.

Mateo 3
© Philippe Fitte


Personnage pivot, Miquele exige un baryton à la fois charismatique et nuancé, capable de passer de l’autorité blessée à l’émotion contenue. Fabrice Alibert – également directeur artistique de la production – livre un père en souffrance d’une intensité rare avec une ligne vocale souple, un phrasé impeccable même dans les longues arches mélodiques. Grain de voix précis et mordant, qui traduit parfaitement la stature morale et le dilemme du personnage. Sa présence scénique magnétique, donne à Miquele une dimension quasi shakespearienne.
Séverino est l’antagoniste sombre de l’ouvrage, un personnage presque démoniaque, dont les interventions se rapprochent du scherzo diabolique des Contes d’Hoffmann. Matthieu Lécroart incarne ce rôle de baryton-basse avec brio : voix au timbre sombre et caverneux qui impose le danger dès les premières répliques, parlé-chanté expressif parfaitement adapté à l’écriture de Palmeri. Une lecture scénique subtile, évitant le cliché du « méchant caricatural » et donnant à son incarnation une réelle épaisseur psychologique.

Mère de tendresse et de douleur, Carmen constitue l’axe émotionnel de l’œuvre. En parfaite musicienne, Simona Caressa en offre une prestation attachante : ligne de chant souple et soyeuse révélant un contrôle vocal irréprochable. Impliquée scéniquement, elle confère à Carmen une profondeur humaine et une dignité poignante.
Charlotte Bonnet, incarne Lucia avec un naturel confondant. Cette soprano, en pleine ascension, confirme, saison après saison, son talent et son intelligence musicale. On l’a récemment applaudie dans le rôle d’Hilda dans Sigurd de Reyer à l’Opéra de Marseille, ainsi que dans L’Amico Fritz de Mascagni au Festival Opus de Gattières dans le rôle de Suzel (un modèle de fraîcheur et de sincérité). Ici, elle déploie toute l’ampleur de sa tessiture, parfaitement adaptée à un rôle qui demeure tendu sur le plan vocal, tout en livrant un portrait sensible et nuancé d’une jeune femme aspirant à un autre univers moins étriqué.

Autre belle réussite : Rémy Mathieu dans le rôle de Carlos. Véritable « caméléon de la scène », ce ténor passe avec une aisance confondante de l’opéra à l’opéra-comique, de l’opérette à la comédie musicale. On le retrouvera d’ailleurs, dans quelques jours à Nice dans le rôle de Tom de la comédie musicale No, No, Nanette  de Vincent Youmans. Ici, il met son timbre lumineux et ses dons de comédien au service d’un Carlos à la fois juvénile et, somme toute, profondément humain. Sa projection claire, son phrasé précis et son jeu scénique irréprochable en font l’une des incarnations marquantes de cette production.
Chichillo trouve en Diego Godoy un interprète d’exception. Ténor au matériau généreux, rompu aux emplois dramatiques (Don José dans Carmen ou Manrico dans >Il Trovatore), il se montre, en la circonstance, aussi impétueux qu’attachant. (Il fut également, rappelons le, au Festival Opus de Gattières dans La Rondine , un Ruggero émouvant). Chichillo exige un sens aigu du rythme théâtral et une présence scénique virevoltante : Diego Godoy répond à ces défis avec panache, tout en déployant une puissance vocale qui souligne l’autorité et la versatilité de ce personnage complexe.
Les seconds rôles sont eux aussi parfaitement défendus : El Loro par Frédéric Diquero et Naguireta par Elvis Miath.

Une production électrisante et envoûtante qui constitue une véritable réussite à tous égards d’un très grand professionnalisme et qu’on espère vivement revoir !

Christian Jarniat
12 septembre 2025

Mateo (Martin Palmeri)

Compositeur et direction Musicale : Martin Palmeri -Orchestre : Quintette à cordes “Ad Libitum“ – Chef de Chœur : Stéfan Nicolay – Direction Artistique : Fabrice Alibert – Mise en Scène : Carlos Branca – Costumes et accessoires : Alexandra Mekhanic – Lumières : Brice Romero .

Distribution :
Don Miquele : Fabrice Alibert – Severino : Matthieu Lécroart – Carlos : Rémy Mathieu – Chichillo : Diego Godoy – El Loro : Frédéric Diquero – Naguireta : Elvis Miath.
Dona Carmen : Simona Caressa – Lucia : Charlotte Bonnet.

Coproduction/ organisation locale : La Corde à Bulles.

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