Giuditta, Festival de Baden (Autriche)
dimanche 10 août 2025

Giuditta, Festival de Baden (Autriche)

© Christian Husar

… de Franz Lehár : entre éclat et retenue

À la Sommerarena de Baden, la scène circulaire couverte par sa coupole rétractable accueille cet été Giuditta, ultime opérette de Franz Lehár créée en 1934 à Vienne. Œuvre à la croisée du théâtre musical et de l’opéra, souvent qualifiée de « dernier chef-d’œuvre » du compositeur, elle s’impose comme un objet hybride : comédie sentimentale, fresque orientalisante et drame lyrique à la fois. L’intrigue, qui retrace le destin d’une jeune femme mariée, s’émancipant par le désir avant de devenir prisonnière de sa propre gloire, s’articule autour de thèmes où la frivolité de l’opérette se mêle à une gravité inattendue.

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© Christian Husar

Michael Lakner, directeur artistique(au terme de sa dernière année de mandat) privilégie dans sa mise en scène une lecture claire et respectueuse du livret. Plutôt que d’opter pour une relecture ironique, distanciée ou une modernisation forcée, il s’appuie sur des symboles immédiatement parlants.

L’image de la cage dorée, fil conducteur de la production, illustre le paradoxe de Giuditta : d’abord enfermée dans son mariage, elle devient ensuite captive de la célébrité qui la propulse sur les scènes de cabaret. Le décor, volontairement mesuré, évite les allusions naturalistes et préfère une stylisation suggestive : arabesques légères, touches orientalisantes et lumière chaude composent un univers qui oscille entre rêve et mélancolie.

Le parti pris ne vise ni la provocation ni l’excès : il accompagne fidèlement l’ouvrage, en lui offrant un écrin esthétique adéquat. Cette sobriété peut séduire par sa cohérence, mais peut être laisse-t-elle parfois le sentiment d’une retenue qui bride quelque peu le potentiel dramatique de l’œuvre.

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© Christian Husar

Sous la direction de Ioannis Poulakis, l’orchestre du festival épouse la partition avec souplesse. Lehár, ici au sommet de son art, mêle accents orientaux, effluves de valses viennoises et envolées orchestrales proches de l’opéra italien. La lecture de Poulakis souligne ces contrastes sans les durcir : les cordes conservent un miroitement délicat, les bois se distinguent par leur clarté, les cuivres s’imposent sans écraser. Le chef maintient une respiration constante, favorisant la lisibilité des ensembles et l’équilibre entre fosse et plateau. Le chœur, préparé par Victor Petrov, s’intègre avec dynamisme au tissu scénique. Tantôt foule festive, tantôt commentaire collectif, il agit comme un moteur dramatique. Le ballet, régulièrement mobilisé, prolonge l’élan musical par une gestuelle fluide et un sens du mouvement qui enrichissent la continuité visuelle (chorégraphie de Anna Vita).

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© Christian Husar

La réussite de la soirée repose avant tout sur Octavio. Le ténor moldave Iurie Ciobanu incarne ce rôle complexe avec un chant qui allie puissance, projection claire diction exemplaire et phrasé souverain. Son timbre, souple et lumineux, donne une intensité sincère aux airs les plus connus, notamment le brillant « Freunde, das Leben ist lebenswert ! » et l’émouvant « Du bist meine Sonne » véritables sommets de la soirée. Sa présence scénique, naturelle et concentrée, apporte à la production une force expressive qui retient en permanence l’attention.

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© Christian Husar

Face à lui, Ursula Pfitzner dessine une Giuditta scéniquement affirmée, énergique et dansante. L’engagement dramatique séduit, et si la projection vocale semble manquer parfois de relief et certains aigus paraissent tendus on le doit à l’écriture de l’un des rôles sans conteste le plus difficile de toute la production de Lehár avec des écarts extrêmes de tessiture et des intervalles périlleux que n’aurait pas renié un Richard Strauss. L’incarnation fonctionne toutefois par la conviction scénique de la soprano viennoise et par une allure générale qui épouse l’esthétique voulue par le metteur en scène.

Le couple « comique » Thomas Zisterer (Pierrino) et Loes Cools (Anita), anime l’action avec vivacité. Leur jeu léger, coloré par une diction claire, insuffle l’humour indispensable aux ressorts secondaires. Dans ce registre, le public retrouve la tradition d’opérette légère, en contrepoint du drame central.
Les seconds rôles, bien tenus, participent à la cohésion d’ensemble. L’équilibre vocal de la distribution repose donc sur la solidité collective plus que sur l’éclat individuel, à l’exception notable du ténor.

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© Christian Husar

Le public, venu nombreux, a réservé un accueil chaleureux à la production, applaudissant avec insistance les airs phares et saluant l’engagement de la troupe. La soirée met, en outre, en exergue une valeur patrimoniale : elle rappelle la richesse d’un répertoire trop rarement joué et souligne l’importance du rôle du festival de Baden dans sa défense. L’élan du chœur, la précision orchestrale et la qualité d’un ténor au sommet composent un socle solide,

Cette Giuditta convainc par sa rigueur et par son sens de la cohérence. Lakner et Poulakis en proposent une lecture soignée sans audace excessive, qui met en lumière les contrastes d’une partition singulière. L’ensemble s’ancre dans une fidélité au style et au raffinement de Lehár. On retient surtout l’interprétation de Iurie Ciobanu, qui donne à l’ouvrage sa dimension la plus vibrante.

Une soirée élégante où l’opérette touche aux frontières de l’opéra sans que l’œuvre (de par sa nature hybride) franchisse pour autant totalement le pas.

Cécile Beaubié
10 août 2025

Giuditta (Franz Lehár)

Direction musicale : Ioannis Poulakis – Mise en scène : Michael Lakner – Décors : Michael Lakner/ Gerhard Nemec – Costumes : Friederike Friedrich – Chorégraphie : Anna Vita. –
Orchestre, Chœur et Ballet du festival Bühne Baden

Distribution :

Ursula Pfitzner (Giuditta) – Iurie Ciobanu (Octavio) – Thomas Zisterer (Pierrino) – Loes Cools (Anita)
Jakob Hoffmann (Manuel / Anton / Ibrahim Martini / Le Duc d’Anjou) – Artur Ortens (Sebastian / Lord Barrymore / l’adjudant du duc) – Tsveta Ferlin (Lolita) – Ardeshir Babak (Le videur de salle) – Branimir Agovi (Premier serveur) – Baltasar Leone (Deuxième serveur)

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© Christian Husar
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