Coups de roulis, Clermont-Ferrand
dimanche 25 mai 2025

Coups de roulis, Clermont-Ferrand

Voici deux ans que cette production de l’ouvrage ultime de Messager réjouit le public des Frivolités Parisiennes. C’est auréolé d’une belle unanimité critique que ce Coups de roulis-là (comme n’aurait pas hésité à l’écrire son librettiste et parolier Albert Willemetz) a jeté l’ancre à l’opéra-théâtre de Clermont-Ferrand, endroit idéal en tout point pour ce genre de répertoire. C’est donc une production bien rodée qui a été proposée à un public nombreux et très mélangé. On s’en réjouit, mais on ne s’en étonne pas quant on sait le caractère authentiquement populaire inhérent à l’opérette, ce qui lui a valu, soit dit au passage, un certain ostracisme dont on est en train de sortir depuis quelques années grâce à de telles entreprises de revitalisation. Ce Coups de roulis est un coup de rafraîchissement.

coups de roulis5 © raymond delage
© raymond-delage

Si on ne le savait pas, on le découvrirait : c’est à la scène qu’un ouvrage se révèle pour ce qu’il est. Messager n’est pas qu’un musicien accompli et inspiré, c’est aussi un véritable dramaturge musical. Cela est flagrant entre l’écoute d’un air de Coups de roulis hors contexte et son écoute en situation scénique. Messager a un style propre, des tournures personnelles qui n’ont pas varié depuis les P’tites Michu (1897) jusqu’à cet ultime ouvrage (1928), mais entre temps le grand chef d’orchestre qu’il était a fréquenté et promu quelques belles avancées musicales. Il n’est pas sans répercussion sur son écriture, par exemple, qu’il ait été au pupitre à la création de Pelléas et Mélisande. La chose est frappante dans ses derniers ouvrages (Passionnément et surtout Coups de roulis) où la parole est beaucoup plus finement traitée et les personnages musicalement plus fouillés. Le résultat est assez bluffant quand cette écriture trouve des interprètes, au sens le plus large, sachant exploiter à fond cette ressource pour donner vie à des personnages et des situations. C’est le cas ici. Cela explique le tuilage parfait entre parlé et chanté, qui, s’il est mal maîtrisé, donne un sentiment pénible de stop and go. Ici c’est tout le contraire. La chose semble aller de soi. L’habileté de Messager à ses introductions fait merveille.

coups de roulis 3
© raymond-delage

L’épure du décor, (deux passerelles pour le vaisseau, quelques tables, quelques chaises discrètes, des voilages, une frise de boules à facettes) laissent la fantaisie du spectateur libre. Pour ce qui est des costumes, le public a le privilège de découvrir en même temps que le vert-marine, un échantillonnage de cuisses de matelots, où règne la diversité la plus inclusive. Tant pis pour le réalisme si ces marins exposés au soleil de Méditerranée montrent pattes blanches. Cette même diversité est cultivée au niveau capillaire avec une série de jeux de mèches qui trouvent leur apogée dans les ondulations au souffle d’un ventilateur de théâtre de la blonde chevelure de l’héroïne. Petite réserve cependant, certainement subjective, les inflexions mélancoliques de la pièce en sont peut-être légèrement émoussées, même si le beau jeu de lumière s’applique à l’installer dans les couplets de la quarantaine.

Fantaisie est le mot clé de cette mise en scène. Elle y conduit le spectateur dans une sorte de monde parallèle, une réalité alternative, qui a des relents d’enfance avec ces costumes marins où l’homme le plus sérieux est ramené à l’âge des culottes courtes. Les allusions, par projection vidéo, à un autre univers parallèle, celui des soap opéras à brushings expressifs, servent admirablement à la fois de respiration et de contre-chant.

coups de roulis 2
© raymond-delage

Messager et Willemetz n’ont pas manqué de culot, à une époque où l’opérette légère faisait grand étalage de « petites femmes » de proposer un ouvrage très largement dominé par une distribution masculine. La mise en scène le souligne finement en reléguant ostensiblement les dames du Caire entre deux voiles en arrière plan. Cela est finalement aussi une façon de mettre en relief les deux personnages féminins : la jeune fille poly-amoureuse et la maîtresse-femme qui parvient à amputer l’homme de pouvoir de son attribut viril : la moustache. Clarisse Dalles incarne la première, Irina de Baghy la seconde, chacune dans le ton qui convient. La première sait détailler avec intelligence, d’une voix claire et bien articulée, les couplets délectables de Willemetz, tandis que l’autre joue sur l’abattage, dans la tradition des héroïnes incandescentes. On ne doute pas que Jean-Baptiste Dumora n’ait eu quelque frisson en portant sur la scène de Clermont-Ferrand son personnage de député du Puy-de-Dôme. Il l’a fait d’une façon si juste qu’on y aurait presque cru. La situation politique de la Troisième République trouve, en ce moment, de façon inattendue, quelques échos, et certaines répliques féroces, dites avec un naturel impressionnant, ne tombent pas à plat.

La rivalité entre Kermao et Gerville (en fait deux âges d’une même virilité) est portée par Christophe Gay et Philippe Brocard. Plus fringant le premier, plus posé le second, tous deux servis par la finesse de l’écriture de Messager et lui rendant la politesse. Les voix sont chaudes, bien conduites, du beau lyrique dit « léger » qui est commun à toute la distribution. Il faudrait la citer dans le détail. Il suffira de dire qu’elle est d’une égale très bonne qualité. Tous par ailleurs sont très bons comédiens et ne se ménagent pas dans les épisodes dansés. Il y aurait beaucoup à dire sur ce que raconte Coups de roulis. Sol Espeche dans sa mise en scène a le grand mérite de maintenir l’apparente légèreté des situations.

coups de roulis 4
© raymond-delage

Tout cela est soutenu par un orchestre, qui, sous la direction très engagée d’Alexandra Cravero, donne toute la mesure de la subtilité d’écriture de Messager. Tout cela est précis, fouillé avec un grand soin de la nuance. On a le sentiment que les musiciens ont plaisir à jouer cette musique-là. Le seul fait qu’on ait cette impression est déjà un critère de qualité.

Le public a longuement et chaleureusement applaudi ce Coups de roulis avant de peut-être contempler depuis le perron du théâtre la silhouette du Puy-de-Dôme insensible aux péripéties de son lyrique député.

Gérard Loubinoux
25 mai 2025

Coups de roulis, André Messager

Direction musicale : Alexandra Cravero – Adaptation et mise en scène : Sol Espeche – Scénographie : Oria Puppo – Chorégraphie : Aurélie Mouilhade – Costumes : Sabine Schlemmer – Lumières : Loris Gemignani – Vidéos : Alexis Lardilleux – Création perruques et maquillage : Maurine Baldassari. Chœur et orchestre des Frivolités Parisiennes.
Co-production Théâtre Impérial-Opéra de Compiègne et Athénée Théâtre Louis-Jouvet avec le soutien de la DRAC île de France et la Ville de Paris.
Distribution :
Clarisse Dalles (Béatrice) – Irina De Baghy (Sola Myrrhis) – Mylène Bourbeau (Sisi) – Lucile Komitès (Joan) – Hortense Venot (Dolly) – Laure Ilef (Grace) – Marion L’Héritier (Goldie) – Claire Naessens (Diana).
Jean-Baptiste Dumora (Puy Pradal) – Christophe Gay (Kermao) – Philippe Brocard (Gerville) – Guillaume Beaudoin (Pinson) – Mathieu Septier (Haubourdin) – Mathias Deau (Subervielle) – Célian d’Auviny (Muriac) – Maxime Le Gall (Bellory).

Imprimer
Cookies
Nous utilisons des cookies. Vous pouvez configurer ou refuser les cookies dans votre navigateur. Vous pouvez aussi accepter tous les cookies en cliquant sur le bouton « Accepter tous les cookies ». Pour plus d’informations, vous pouvez consulter notre Politique de confidentialité et des cookies.