Il faut reconnaître que les critères qui entourent les comédies musicales à Broadway ne sont pas toujours les mêmes. Autant Elf qui allait ouvrir le jour suivant est enthousiasmant, autant « Tammy Faye » qui fit ses débuts la veille est gênant.
Cette histoire d’une pseudo évangéliste qui se produisait à la télévision avec son mari Jim Bakker dans les années 1970 et 1980 est tout ce qu’il y a de plus bizarre comme sujet d’une œuvre théâtrale, même mise en musique par Elton John. La pièce, qui fit ses débuts à Londres en octobre 2022 et ne resta à l’affiche que pour quelques semaines seulement, n’a rien d’attirant.
Bien que Tammy Faye devînt un personnage plus grand que nature pour ses admirateurs, elle est surtout reconnue aujourd‘hui pour avoir détourné des millions de dollars pour ses propres besoins jusqu’à ce que les autorités les poursuivent elle et son mari, condamnant ce dernier à 45 ans de prison pour fraude fiscale.
Tous les deux évangélistes de fortune et persuadés qu’une émission de télévision dominicale était la ressource essentielle pour attirer des milliers de spectateurs, ils eurent la chance de créer une émission, « The PTL Club », qui fut un chevron de la chaîne TNT de Ted Turner. Tammy, dont la personnalité à l’écran était la raison de ce succès, chantait, prodiguait des conseils teintés de termes religieux, soutenait la cause des homosexuels, et était également connue pour ses moments d’émotion intense au cours desquels elle sanglotait devant la caméra, laissant son maquillage dégouliner le long de ses joues. Au sommet de sa popularité, le programme attirait également des invités de marque, tels que Ronald Reagan ou Larry Flint, éditeur d’un magazine porno, qui venaient entretenir leurs hôtes dans des entretiens susceptibles d’intéresser les spectateurs.
Grâce aux millions de dollars en donations qu’ils encaissaient chaque dimanche – 120 millions de dollars par an au plus fort de leur succès – Tammy et Jim Bakker menaient une existence dorée, dépensant sans compter et investissant des fonds dans des entreprises telles qu’un parc de divertissement de style Disneyland avec des thèmes religieux. Tout cela prit fin après que Jim eut été accusé d’avoir violé une admiratrice et d’avoir acheté son silence avec une somme conséquente prise dans ces donations.
Du jour au lendemain, « The PTL Club » disparut des écrans de télévision. Tammy obtint un divorce et épousa un chef d’entreprise immobilière, lequel fut éventuellement poursuivi également pour fraude fiscale. Victime d’un cancer, elle disparut en 2002.
James Graham, auteur de pièces à succès à Londres, s’empara de ce sujet pour écrire le livret d’une comédie musicale à laquelle Elton John ajouta sa musique avec l’aide de Jake Shears, chef de file du groupe Scissor Sisters, auteur des paroles. Les chansons qui résultèrent de cette association sont loin d’égaler celles qui firent son succès mondial.
Malheureusement, les autres éléments de la production sont à la même hauteur, comme si le sujet n’avait inspiré aucun des responsables techniques, surtout pour ce transfert à New York où un certain degré de qualité existe. La mise en scène de Rupert Goold, directeur artistique de l’Almeida Theatre où la pièce fut présentée à l’origine, semble froide et sans grand mérite, tandis que la banale chorégraphie conçue par Lynne Page n’est pas au niveau de ce que l’on peut attendre à Broadway. Les décors de Bubby Christie, une série de « fenêtres » qui ouvrent et ferment selon les besoins de l’action, n’attirent pas par leur originalité et ne lui donnent aucun relief, non plus d’ailleurs que les costumes créés par Katrina Lindsay qui semblent très ordinaires.
Reste l’interprétation qui permet à Katie Brayben, dans le rôle de Tammy Faye, de démontrer la solidité de ses talents vocaux, notamment dans plusieurs solos où son style n’est pas sans évoquer celui de Dolly Parton. Chanteuse extraordinaire, elle devait remporter le grand prix Olivier à Londres pour sa contribution à la pièce et elle devrait sans doute obtenir le Tony de la meilleure interprète féminine dans une comédie musicale à New York. Mais c’est là l’un des seuls éléments positifs de cette œuvre, dans laquelle deux autres acteurs bien connus à Broadway, Christian Borle et Michael Cerveris, semblent complétement perdus.
Si l’on en juge par cette présentation, « Tammy Faye » ne devrait sans doute pas rester plus longtemps à Broadway qu’à Londres.
Didier C. Deutsch
14 novembre 2024
Tammy Faye
Musique : Elton John – Livret : James Graham – Paroles : Jake Shears – Direction musicale, orchestrations, arrangements : Tom Deering – Mise en scène : Rupert Goold – Chorégraphie : Lynne Page – Décors : Bubby Christie – Costumes : Katrina Lindsay
Avec :
Katie Brayben (Tammy Faye) – Christian Borle (Jim Bakker) – Michael Cerveris (Jerry Falwell)
Première le 14 novembre 2024 au Palace Theater, 160 West 47th Street, New York.