Les Contes d’Hoffmann, Salzbourg
mercredi 21 août 2024

Les Contes d’Hoffmann, Salzbourg

Benjamin Bernheim   © SF/Monika Rittershaus

Le « testament fantastique » de Jacques Offenbach tous les 20 ans à l’affiche du Festival

Les Contes d’Hoffmann Festival de Salzbourg 1980 : Placido Domingo, Eda Moser, José van Dam, Anne Howells, sous la baguette de James Levine (reprise en 1981 avec notamment Catherine Malfitano dans la quadruple incarnation féminine) dans une mise en scène de Jean-Pierre Ponnelle (qui – la même année – réalisait au Festival de Bayreuth la plus merveilleuse production de Tristan et Isolde dont on puisse rêver.)

Les Contes d’Hoffmann Festival de Salzbourg 2003 : Neil Shicoff, Ursula Pfitzner, L’ubica Vargicová, Krassimira Stoyanova, Waltraud Meier, Ruggero Raimondi, Angelika Kirchschlager, sous la baguette de Kent Nagano et dans la mise en scène de David McVicar.

La multiplicité des versions et le choix de l’édition critique de Michael Kaye et de Jean Christophe Keck

On sait parfaitement que Les Contes d’Hoffmann est une œuvre inachevée car Offenbach mourut (5 octobre 1880) avant la première représentation de l’ouvrage (10 février 1881). Il laissa néanmoins de nombreux écrits et moutures et autant d’esquisses qui permirent par la suite d’établir diverses versions de cet opéra posthume. Certains auteurs en dénombrent plus d’une dizaine au rang desquelles, outre la version « initiale » publiée chez Choudens, celles d’Oeser, Bonynge, Nagano, Kaye et Keck. 

Dans la multiplicité des versions, l’édition critique de Michael Kaye et de Jean Christophe Keck (choisie pour cette production) fruit d’importantes recherches, peut sans doute apparaître comme la plus proche de ce que l’on peut imaginer que furent les intentions du compositeur

Les rôles féminins de Stella, Olympia, Antonia et Giulietta interprétés par une seule et même chanteuse impliquent corrélativement que le rôle de Giulietta ne soit pas confié – comme traditionnellement dans la version Choudens – à une mezzo-soprano, mais plutôt à une soprano lyrique (voire dramatique) colorature.

L’édition choisie comporte notamment deux couplets pour le duo Lindorf-Hoffmann au prologue (« Et par où votre diablerie…/ D’où vient l’amitié sincère… ». L’air de Nicklausse du premier acte « Ô rêve de joie et d’amour » précède « Voyez la sous son éventail » et au deuxième acte « Vois sous l’archet frémissant ». L’acte de Venise est celui qui a fait l’objet des plus profonds remaniements : Dapertutto ne chante plus « Scintille diamant »  mais « Répands tes feux dans l’air ». On y trouve pas davantage le septuor (de la main de Raoul Gunsbourg) et Giulietta se voit dotée de l’air particulièrement « orné » de « L’amour lui dit la belle ». Et bien entendu à l’épilogue l’air de la muse « Des cendres de ton cœur » précède l’apothéose finale avec chœur « On est grand par l’amour et plus grand par les pleurs ».

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Marc Minkowski et Mariame Clément©SF-Jan Friese

Une mise en scène confuse à force d’être trop touffue

La mise en scène de Mariame Clément se veut, une fois de plus, une « mise en abyme » avec notamment l’idée (trop) souvent exploitée du « théâtre dans le théâtre » ou plus précisément ici du « cinéma dans le théâtre ». Un processus qui nécessairement se heurte à certaines limites que avons maintes fois mesurées dans de multiples productions au cours desquelles nous avons pu constater que le procédé tournait rapidement court.

Nous évoquions d’ailleurs à l’occasion d’un compte-rendu sur Hamlet  les limites du « regietheater » et nous en trouvons ici l’évidente démonstration.

Dans ses propos Mariame Clément indique que Stella est la plus importante des femmes de la vie d’Hoffmann. C’est Antonia, jeune artiste, qui deviendra ultérieurement la star Stella. Elle fait, rajoute-t-elle, « la carrière qu’Hoffmann n’a pas faite ». Cet amour contrarié provoque chez Hoffmann tristesse, rancœur et désespoir. Olympia, la très jeune fille, va jouer dans le premier film d’Hoffmann et, ne pouvant s’exprimer, en vient à se rebeller contre tous les carcans assignés. Quant à Giulietta, elle se trouve au centre d’une histoire brumeuse et cauchemardesque, autant que paranoïaque : comme la projection de tous les échecs et de tous les malheurs d’Hoffmann…

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Benjamin Bernheim   © SF/Monika Rittershaus

Elle retient certes le principe du flash-back mais en l’ « actualisant » pour la circonstance. C’est donc un Hoffmann « clochardisé » qui va faire revivre sous nos yeux son périple dans l’univers cinématographique à diverses époques .Quand l’opéra commence Hoffmann, en jean et blouson marron, pousse un caddie encombré d’accessoires cinématographiques notamment caméras et bobines de films. Ce caddie flanqué d’un oreiller lui sert de refuge nocturne. Il s’arrête devant les murs qui se veulent être ceux d’un studio de cinéma et s’assoupit non loin des poubelles. De l’une d’elle surgit la muse (dans le texte celle-ci est censée émerger d’un puits). Puis on les voit intégrer le repas à l’intérieur de la cantine du studio au cours de laquelle Hoffmann va narrer les péripéties d’une carrière d’abord d’assistant (avec l’épisode d’Olympia) puis de réalisateur (avec l’épisode d’Antonia). Les deux héroïnes apparaissant successivement sur un plateau pendant un tournage. Lorsqu’il évoque « Stella, trois femmes dans la même femme, trio d’enchanteresses qui se partagèrent mes jours », il cherche les vidéos dans son stock et tous les personnages de la taverne, déroulant la pellicule, regardent le film qui va les entraîner dans l’histoire d’Olympia (au préalable l’évocation de Kleinzach sera projetée sur le mur).

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A l’extrême gauche : Benjamin Bernheim, au centre : Kathryn Lewek   © SF/Monika Rittershaus

L’épisode d’Olympia se situe dans les années 1970 à l’époque des hippies (avec accoutrement en conséquence : pantalons à pattes d’éléphant et cheveux longs).

Olympia est une jeune fille portant jupe écossaise, chemisier blanc, nattes blondes, qui lit des bandes dessinées en mâchant du chewing-gum. Pour les besoins du tournage d’un film dont Hoffmann est l’assistant, Mariame Clément transforme la poupée-automate en héroïne de film d’anticipation, en l’occurrence Barbarella (de Roger Vadim). De ce fait, il est difficile de se référer à la version traditionnelle parce que la notion d’automate n’existe plus ! Peut-être peut-on conserver l’illusion d’une « jeune femme-poupée » qui n’est que le fruit de l’imagination du héros ?.. Mais c’est sans doute ici « tirer les choses par les cheveux » et lorsque Hoffmann, au milieu de la fête, l’entraînera dans l’une des cabines, elle l’accusera – gestes à l’appui – en sortant de l’avoir violentée. Cet acte se termine d’ailleurs de manière quasiment incompréhensible au regard du texte.

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au centre : Benjamin Bernheim, Christian Van Horn et Kathryn Lewek   © SF/Monika Rittershaus

Mariame Clément complique encore sa tâche en dédoublant le personnage d’Hoffmann dans l’acte d’Antonia, lui assignant tantôt le rôle du metteur en scène qui dirige la séquence cinématographique et tantôt celui de l’amoureux d’Antonia…par ailleurs convoitée par un producteur rival d’Hoffmann et notre héros en concevra dépit et douleur ! Elle tente donc, de passer du tournage à la vie réelle avec plusieurs plans de jeu et d’intentions, qui rendent sa lecture pour le moins confuse.

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Kathryn Lewek , Benjamin Bernheim et le choeur   © SF/Monika Rittershaus

L’acte de Venise n’apparaît plus dans un lieu déterminé mais dans une sorte de décor neutre et relativement déstructuré. Il est vrai qu’il s’agit des trois récits de celui qui est, sans doute, originairement le plus ésotérique : Giulietta représentant probablement les fantasmes féminins éclatés d’Hoffmann.

La difficulté de la mise en scène de Mariame Clément tient en outre à ce que celle-ci n’entend laisser aucun espace de liberté aux spectateurs et qu’elle considère qu’elle doit impérativement ne raconter dans l’extrême détail qu’une histoire (et en l’occurrence quatre récits) : la sienne sans laisser le moindre blanc. Ce faisant par ce « trop plein » elle vide paradoxalement de sa substance poétique l’œuvre d’Offenbach.

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Benjamin Bernheim  © SF/Monika Rittershaus

Une distribution dominée par le ténor Benjamin Bernheim

Le ténor franco-suisse Benjamin Bernheim trouve en Hoffmann l’emploi idéal. Notons qu’il a déjà interprété ce rôle notamment au Staatsoper de Hambourg en 2021 dans la mise en scène de Daniele Finzi Pasca puis à l’Opéra de Paris en décembre 2023 dans la production de Robert Carsen. II endossera à nouveau les habits d’Hoffmann au Metropolitan Opera de New York dans la mise en scène de Bartlett Sher à partir du 24 septembre prochain (retransmission au cinéma le 5 octobre).

Musicien exceptionnel (on l’avait déjà apprécié la saison dernière dans Roméo et Juliette à l’Opéra de Paris dans la mise en scène de Thomas Jolly), il est de surcroît un éminent spécialiste de la mélodie française (il viendra au demeurant, pour en interpréter un cycle, le 9 février prochain à l’Opéra de Monte-Carlo). Est-il besoin d’indiquer que sa diction et sa prononciation française sont tout simplement sublimes et que l’on comprend le moindre mot de ce qu’il chante. On peut aussi louer la clarté de son timbre et l’aisance dans tous les registres, s’entend qu’à aucun moment le ténor parait ne forcer ses moyens naturels, ce qui semble augurer de la poursuite d’une carrière menée avec discernement et une extrême intelligence et qui devrait longtemps se pérenniser. Dans une interview il a d’ailleurs opportunément souligné qu’il avait prudemment attendu pour chanter ce rôle, qui est long et difficile, d’en avoir la maturité, la couleur et la force.

En outre quel comédien particulièrement doué eu égard à la complexité de la mise en scène : un véritable acteur de théâtre voire de cinéma !

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Au centre : Kathryn Lewek et Benjamin Bernheim  © SF/Monika Rittershaus

Kathryn Lewek (entendue à l’Opéra de Nice dans Lucia di Lammermoor et dans Lakmé) incarne les quatre rôles féminins avec la vaillance qu’on lui connaît et une endurance qui force le respect (sur cette même scène Eda Moser et Catherine Malfitano en avait de même voici quatre décennies dans la mise en scène de Jean-Pierre Ponnelle). Elle assume avec brio les vocalises d’Olympia et chante magnifiquement Antonia se montrant à l’aise dans les difficultés particulières du rôle de Giulietta.

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Christian Van Horn © SF/Monika Rittershaus

Prestation également impeccable dans les quatre incarnations maléfiques de Christian Van Horn (récent Don Quichotte de Massenet l’Opéra de Paris) avec une belle texture de basse, même si la prononciation française est moins évidente que celle de ses principaux partenaires.

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Kate Lindsey et Benjamin Bernheim   © SF/Monika Rittershaus

Kate Lindsey (La Muse / Nicklausse) ne manque pas de qualités mais dans le vaste vaisseau du « Grosses Festspielhaus » sa voix peine à passer aisément.
On trouve curieusement (en pareil lieu) des faiblesses dans certains seconds rôles. Accordons néanmoins une mention à Géraldine Chauvet remarquable dans la voix de la mère d’Antonia ainsi qu’à Marc Mauillon particulièrement convaincant dans les emplois des quatre valets.

L’étonnement est venu d’une direction par moments moins inspirée que de coutume de Marc Minkowski pourtant spécialiste de l’oeuvre (et tout particulièrement de cette version) assortie de quelques décalages avec l’orchestre.

Christian Jarniat
21 Août 2024

Fiche technique :

Direction musicale : Marc Minkowski – Mise en scène  : Mariame Clément – Décors et costumes : Julia Hansen – Lumières : Paul Constable – Vidéo : Etienne Guiol, Wilfrid Haberey – Chorégraphie : Gail Skrela – Dramaturgie : Christian Arseni

Distribution : Kathryn Lewek (Stella/ Olympia/ Antonia/ Giulietta) – La Muse / Nicklausse : Kate Lindsey – Géraldine Chauvet (La voix de la mère)
Benjamin Bernheim (Hoffmann) Christian Van Horn (Lindorf/ Coppélius / Dr Miracle / Dapertutto) – Marc Mauillon (Andrès / Cochenille / Frantz / Pitichinaccio) – Michael Laurenz (Spalanzani) –  Jérôme Varnier (Crespel / Maître Luther) – Philippe-Nicolas Martin (Hermann / Peter Schlemil) –  Paco Garcia (Nathanaël) –  Yevheniy Kapitula (Wilhelm )
Orchestre Philharmonique de Vienne
Chœur de l’Opéra de Vienne 

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