Touchez pas au grisbi de la Marsovie
Flâner nonchalamment à Aix les Bains nous met déjà dans l’ambiance.
Cette charmante ville thermale fleure bon la Belle Époque et donc l’Opérette avec ses magnifiques palaces qui s’étagent dans les hauts.On ne serait pas surpris d’y voir sortir princes et princesses endimanchés, avec cannes et ombrelles, se hâtant lentement dans les allées du Théâtre de Verdure pour leur promenade quotidienne.
On est donc tout à fait prêts à entrer au Casino d’Aix les Bains pour assister à la représentation de ce dimanche 21 juillet 2024 : La Veuve Joyeuse le chef d’œuvre de Franz Lehár dans le cadre du Festival Lyrique 2024.
Cette saison du Festival Lyrique d’Aix les Bains rend hommage à Pierre Sybil (1949-2020) qui fut le fondateur et le directeur artistique de ce Festival de 1989 à 2020. On s’associe volontiers à cet hommage.
– Une intrigue légèrement revue
Au premier acte, on est accueilli dans l’ambassade de Marsovie à Paris. À l’époque de Franz Lehár, la Marsovie était une Principauté. Pour avoir une idée de la place qu’avait cette Principauté dans le concert des nations pittoresques, on peut dire qu’elle avait des liens très étroits avec le Grand-Duché de Gerolstein et, dans une moindre mesure, avec le Royaume de Syldavie, qui certes n’est pas aussi enchanteur, mais qui a tout de même favorisé l’éclosion de la Castafiore, la diva des divas.
Grâce aux nombreux contacts tissés de tout temps par le Festival avec ces charmants pays d’opérette, on apprend que la Marsovie vient de devenir une République (qui s’autoproclame « si populaire et si démocratique »). C’est donc l’occasion rêvée de faire connaitre au public (d’autant plus qu’on affiche complet) ce changement de régime en distribuant généreusement aux spectateurs le nouveau drapeau de la Marsovie et en parsemant l’œuvre (Franz Lehár leur pardonnera) de l’hymne officiel de la nouvelle République.
Gageons que malgré ce changement brusque de régime, Marsovie, Gerolstein et Syldavie continueront à vivre en parfaite harmonie.
Dans un souci louable d’exhaustivité journalistique, le Festival n’occulte pas les soubresauts inévitables à ce changement brusque de régime. C’est donc dans une ambiance de suspicion généralisée que va se dérouler l’intrigue. Même le Pope est armé ! On murmure aussi dans les coulisses de l’ambassade que OSS 117 et peut être même James Bond seraient à la manœuvre !
C’est pourquoi, au début du spectacle, le public se voit investi de deux missions :
– Mission n°1 : éteindre tous les téléphones portables car, à l’intérieur de l’ambassade, ils sont piratés.
– Mission n°2 : à chaque évocation du nouveau régime, agiter frénétiquement les petits drapeaux du nouvel état (voir plus haut) et se lever à chaque fois que l’hymne national retentit.
Assumant la primauté journalistique du scoop, le Festival n’a pas hésité à bousculer quelque peu l’agencement du premier acte, faisant passer au second plan l’intrigue et les chants associés. Par exemple, grâce aux progrès technologiques de notre époque, nous avons eu l’honneur d’un discours télévisé du nouveau chef d’état de la République de Marsovie, en partance pour une réunion internationale de la plus haute importance.
Qu’on se rassure, le canevas de l’intrigue est parfaitement respecté et on reconnait facilement l’éventail des personnages principaux.
– Venons-en aux décors.
Celui du premier acte est assez minimaliste. On a du mal à imaginer les fastes d’une ambassade. Mais, vu l’état catastrophique des finances de la Marsovie (peut être d’ailleurs une des causes du changement de régime ?) le ministre en charge des deniers publics a dû se serrer la ceinture et on ne lui en tiendra pas rigueur (il y a quand même un bel escalier avec tapis rouge).
Le deuxième acte, dans les jardins de la multimillionnaire Missia (la veuve joyeuse), est nettement plus conforme à ce qu’on attendait, preuve que l’argent peut quelque fois embellir les choses. La présence d’une piscine, donnant lieu à des gags très réussis, est un prodige de mise en scène unanimement apprécié.
Au troisième acte, chez Maxim’s, on est en pays (d’opérette) de connaissance. Nous voici dans « l’antre de la débauche » (aux dires même du secrétaire d’ambassade) ce qui ne déplait pourtant pas à notre ambassadeur de la Marsovie « si populaire et si démocratique ». L’ambiance feutrée des éclairages individuels contraste avec les séquences endiablées du French Cancan.
– Et le chant, me direz-vous ?
Eh bien l’orchestre, les chanteuses et les chanteurs furent tous excellents.
L’orchestre, admirablement conduit par Didier Benetti, est placé sur scène ce qui lui donne un éclairage qu’on n’a pas l’habitude d’apprécier. Très bonne idée. La fosse d’orchestre ainsi libérée, donne plus d’espace pour la mise en scène, notamment une majestueuse ouverture ascendante au troisième acte.
Les interprètes féminines (notamment Perrine Madoeuf, la veuve Missia, et Ève Coquart, Nadia l’épouse de l’ambassadeur, sans oublier Estelle Danvers, Sophie Carré , Audrey Gardaz et Marie Charlotte Sondaz) ont été plus qu’à la hauteur, à la fois vocalement et comme actrices, ce qui fait de l’opérette un art assez exigeant pour ne pas tomber dans le grotesque.
De même pour les interprètes masculins dont les performances vocales ont été très appréciées au même titre que leurs prestations d’acteurs :
En Popoff très convaincant, Jean François Vinciguerra émaille son rôle d’ambassadeur un peu naïf, un peu trop sûr de soi, de calembours sans être de nature à écorner sa fonction, ce qui nous le rend finalement assez sympathique.
Régis Mengus (Danilo) un attaché d’ambassade au premier acte, et très attaché d’embrassades aux deuxième et troisième actes.
Florian Laconi, qu’on ne présente plus, en amoureux mi rejeté mi accepté et qui participe au sauvetage de la situation financière de la Marsovie. À ce titre, on espère qu’il deviendra un des ténors de l’administration de la nouvelle République.
N’oublions pas Eric Laugérias (Figg), Yvan Rebeyrol (Lérida), d’Estillac (Didier Claveau), Jean Charles Caustier (Kromski), Orlando Canton Gonzales (Bogdanovitch), Antoine Perrier (Pristchitch), tout un éventail de bons chanteurs/acteurs qui se sont manifestement beaucoup amusés pour notre plus grand plaisir.
Des applaudissements très nourris ont confirmé la complète satisfaction du public qui souhaite longue vie à cette nouvelle République de Marsovie maintenant débarrassée de ses soucis financiers. Signalons la charmante attention du Festival qui a invité sur scène, pour une ovation bien méritée, l’ensemble du personnel ayant œuvré pour la réussite de ce spectacle. C’est assez rare pour être signalé.
En guise de conclusion, nous retiendrons ces heures exquises (pas loin de quatre heures tout de même, entractes compris) où la musique de Franz Lehár, à la fois si délicate dans les passages intimistes et si endiablée dans les instants de fête, nous a encore accompagnés dans la douce fraîcheur du soir.
N’oublions pas non plus les trouvailles de l’adaptation qui, sans dénaturer l’intrigue de cette opérette archi connue, lui a donné un rafraichissement bon enfant et enthousiasmant.
La veuve était joyeuse, le public aussi !
Claude Guérin
20 juillet 2024
Fiche technique
La Veuve Joyeuse (Lehár)
Direction musicale : Didier Benetti – Mise en scène et adaptation : Jean-François Vinciguerra – Chorégraphie : Estelle Danvers
Distribution :
Perrine Madœuf (Missia Palmieri) – Ève Coquart (Nadia) – Estelle Danvers (Manon) – Sophie Carré (Olga) – Audrey Gardaz (Sylviane) – Marie-Charlotte Sondaz (Praskovia)
Régis Mengus (Danilo) – Jean François Vinciguerra (Popoff) – Éric Laugérias (Figg) – Florian Laconi (Camille de Coutançon) – Yvan Rebeyrol (Lérida) – Didier Claveau (d’Estillac) – Jean-Charles Caustier (Kromski) – Orlando Canton Gonzales (Bogdanovitch) – Antoine Perrier (Pristchitche)