La Grande Duchesse de Gerolstein, représentée à l’Odéon en janvier 2011 avec Emmanuelle Zoldan et Frédéric Mazzota et en mai 2018 avec Marie-Ange Todorovitch et Kévin Amiel, respectivement dans les rôles de la Grande Duchesse et de Fritz, revenait donc à l’affiche de ce théâtre en ce mois de janvier 2024. Nous ne pouvons que réitérer ce que nous écrivions alors : « Cette œuvre est incontestablement l’un des joyaux du répertoire d’Offenbach avec un livret parodiant joyeusement les intrigues et complots de palais et fustigeant, avec un humour corrosif, l’armée et l’ambition des chefs militaires : un régal de tous les instants sublimé par une musique à la veine inépuisable ».
Plusieurs éléments marquants pour cette nouvelle production et, tout d’abord, Laurence Janot, forte de son expérience dans le domaine de l’opérette et celui d’Offenbach – en particulier sa superbe Belle Hélène dans laquelle elle s’est illustrée à deux reprises sur cette scène – apporte son abattage exceptionnel et son jeu subtil d’actrice à cette Grande Duchesse, qu’elle chante de surcroît avec une science accomplie. Comme elle nous le confiait au sortir de la représentation : « les rôles féminins d’Offenbach sont parfois aussi complexes que ceux d’un grand opéra ». Les propos de Laurence Janot sont d’autant plus légitimes venant d’une interprète qui s’est confrontée à des emplois tels que Lucia dans Lucia di Lammermoor de Donizetti, Elvira dans Les Puritains de Bellini ou encore Violetta dans La Traviata de Verdi
Et le deuxième élément fondamental repose sur la mise en scène de Yves Coudray dont on ne cesse d’admirer le travail au fil des années. Un artiste qui sait absolument tout faire, en passant de la comédie à la mise en scène d’opéras comme ce fut le cas dans La Damnation de Faust à l’Opéra de Nice en 2011 avec Samuel Ramey, ou comme ce le sera encore dans La Traviata à l’Opéra de Marseille, tout en étant par ailleurs capable d’interpréter un large répertoire et des rôles diversifiés. On se souvient notamment de sa prestation dans Un soir de réveillon de Raoul Moretti en 2013 à l’Odéon où il incarnait Gérard Cardoval aux côtés d’un Franck T’Hézan en truculent Honoré à la verve inoubliable. Plus récemment Yves Coudray dessinait sur cette même scène un Charlot aussi fin que pittoresque dans Un de La Canebière.
Appuyé sur des décors aussi évocateurs que fonctionnels, il mène cette alerte troupe de La Grande Duchesse de Gerolstein d’une main de maître avec une précision d’orfèvre d’autant qu’il dirigea pendant une dizaine d’années le Festival d’Étretat consacré à Offenbach.
Il est vrai également que la distribution est de premier ordre avec Pierre-Antoine Chaumien qui incarne un Fritz aussi drôle que benêt, entouré de spécialistes de pareil ouvrage, comme Alfred Bironien en Prince Paul particulièrement sonore, de l’inénarrable Dominique Desmons qui passe précisément du Prince Paul, qu’il incarnait à l’Odéon en 2011, au Baron Puck avec l’humour qu’il sait parfaitement manier sans oublier, dans le Général Boum, Franck Leguérinel dont on connait l’exceptionnelle carrière et qui récemment avait endossé l’habit du baron de La Vie Parisienne dans la version originelle d’avant censure mise en scène par Christian Lacroix et produite par le Palazzetto Bru Zane (qui a fait l’objet de l’enregistrement d’un dvd sous son label et celui de la firme Naxos). Il faut encore citer dans la naïve Wanda, Julia Knecht qui après Trois de la Marine à l’Odéon en novembre 2022 avait été engagé le mois suivant pour Adèle de La Chauve-souris à l’Opéra de Gênes. Une mention spéciale pour Jean- Christophe Born qui parvient à traduire, avec talent, l’impassible baron Grog dont le livret nous fait comprendre que, « sympathique comme une porte de prison », il demeure insensible à tous sentiments. Antoine Bonelli, met sa faconde habituelle au service d’un pittoresque Népomuc.
Et si l’on doit rajouter un troisième élément, et non des moindres, à tous ces sujets de satisfaction ce serait, bien évidemment, la direction musicale de Jean-Christophe Keck, reconnu en tant que spécialiste de l’œuvre de Jacques Offenbach et directeur de l’Offenbach Edition Keck (OEK), l’édition monumentale critique publiée chez Boosey & Hawkes. Rappelons que depuis plusieurs années, il anime les dimanches d’Offenbach à l’Odéon de Marseille.
Tout ces éléments réunis ne pouvaient qu’aboutir au franc succès de la part d’un public enthousiaste : une coutume désormais bien établie pour ce théâtre du haut de la Canebière dans la cité phocéenne, l’un des ultimes bastions d’un lieu permanent consacré à l’opérette dont on ne peut que souhaiter qu’il perdure.
Christian Jarniat
13 janvier 2024
Fiche technique :
La Grande Duchesse de Gerolstein (Offenbach)
Direction musicale : Jean-Christophe Keck – Mise en scène : Yves Coudray
Distribution :
Laurence Janot (La Grande Duchesse) – Julia Knecht (Wanda)
Pierre-Antoine Chaumien (Fritz) – Franck Leguérinel (Le Général Boum) – Alfred Bironien (le Prince Paul) – Dominique Desmons (Le Baron Puck) – Jean-Christophe Born (Le Baron Grog) – Antoine Bonelli (Népomuc)
Chœur de l’Opéra de Marseille – Orchestre de l’Odéon